Avril 2024
Émilie Turmel
d’arrière en avant
d’avant en arrière
avec la constance
de cent métronomes
le poids de ton corps
fait basculer
la vieille chaise en chêne
que redresse aussitôt
la plante de ton pied
dans une communion lente
entre le bois et l’os
installée de biais
dans le coin de la chambre
la chaise
craque sous l’élan du ressac
et fait craquer les lattes
du plancher de chêne
recréant ce rythme usé
qui ressemble à la vie
tu sembles fixer le vide
mais en réalité
ton regard
suit sur le mur
la patiente traversée
des lames de lumière
filtrant
à travers les stores
l’aube
et la brumante
sont deux sœurs
du même sang
tu les distingues à peine
si ce n’est que
l’une se berce
d’arrière en avant
et l’autre
d’avant en arrière
avec la constance
de cent métronomes
tu fais craquer la chaise berçante
le plancher
tu fais craquer
le bois massif centenaire
du chêne rouge
choisi pour ses fibres robustes
son grain
reconnaissable entre tous
du bout des doigts
tu parcours
le trajet des veines
sur les bras de la chaise
tentes de tracer
à rebours
le trajet
de la chaise elle-même
d’une chambre à l’autre
d’une maison à l’autre
tu t’égares
le poids de tes songes
s’ajoute
à celui de ton corps
déjà lourd
et tu bascules
par en dedans
rentres
à l’intérieur de ta tête
maison vide
chambre vide
te frappes sur les parois
du langage
jusqu’à tomber enfin
sur ce souvenir
si lointain
qu’il ne peut t’appartenir
toi bébé
dans les bras de ta grand-mère
sur cette même chaise
dans cette même chambre
une photo
dans un album de famille
la photo d’un bébé
que tu sais être toi
dans les bras
d’une vieille femme
que tu sais être
ta grand-mère
un souvenir
qui ne t’appartient pas
un souvenir induit
par une vieille photo
le souvenir d’une photo
dans un album de famille
Extraits de : Berceuses / Émilie Turmel – Poètes de brousse, 2023
***
Je te demande quelle science
enseigne la beauté
si plaire est un art une lutte
un simple mécanisme de survie
ou quelque culte obscur
auquel on sacrifie
son premier visage
Extraits de : Vanités / Émilie Turmel – Poètes de brousse, 2020
***
il n'y a qu'à suivre la parole
son écoulement tranquille
le sucre l'asphalte leurs entonnoirs
les engouffrant chaque soir
à la même heure par la même sortie
des années à se présenter par le siège
cordon autour du cou
ceinture bouclée
bague au doigt
pour occuper une place
elles épousent
la forme de l'espace restant
Extraits de : Casse-gueules / Émilie Turmel – Poètes de brousse, 2018
Biographie
Émilie Turmel est née à Montréal et habite Moncton, au Nouveau-Brunswick. Elle est l’autrice des recueils de poésie Casse-gueules (Prix René-Leyraud – Finaliste au Prix Émile-Nelligan) et Vanités (Pris Louise Labé) parus aux Éditions Poètes de brousse en 2018 et 2020. Son troisième livre, Berceuses, est paru sous la même enseigne en 2023. Poète multidisciplinaire, elle a conçu et présenté des dizaines de spectacles et de lectures publiques, en plus de participer à des expositions et des initiatives littéraires en tous genres. Quelques-uns de ses textes ont été traduits vers l’anglais, l’espagnol ou le roumain, et plusieurs sont parus en revues ou en anthologies au Canada, en France, en Colombie, en Espagne et en Roumanie. Titulaire d’une maîtrise en littérature française et d’un diplôme de deuxième cycle en création de livres-objets (U. Laval, 2015), elle a également étudié et enseigné la philosophie. De 2015 à 2018, elle occupe le poste d’adjointe à la programmation de la Maison de la littérature et du Festival Québec en toutes lettres, en plus d’être chargée du volet Arts littéraires de la mesure Première Ovation. De 2018 à 2021, elle occupe le poste de directrice générale du Festival Frye, le plus important événement littéraire au Canada atlantique. En 2020, elle contribue à fonder le Réseau des arts de la parole et des arts et initiatives littéraires (RAPAIL), nouvel organisme pancanadien. Et depuis 2023, elle assure la direction littéraire de Perce-Neige, la plus ancienne maison d’édition acadienne toujours en activité. Elle siège actuellement au bureau de direction du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC) et au conseil d’administration du RAPAIL, et poursuit ses projets d’estampe-poésie en tant que membre de l’atelier Imago.
Bibliographie
Berceuses / Émilie Turmel - Poètes de brousse, 2023
Vanités / Émilie Turmel - Poètes de brousse, 2020
Casse-gueules / Émilie Turmel - Poètes de brousse, 2018
Coup de coeur d'Émilie - Poésie 1
Le rayonnement des corps noirs / Kim Doré - Poètes de brousse, 2005
dis-moi quand tu creuses la nuit
à genoux dans la rouille récoltes
vieux départs et promesses fossiles
combien d'années frôles-tu vers qui
tu rampes quel soleil en croix
et pourquoi il ne pleut pas
sur le poème que tu caches
« S’ouvrant sur un dialogue dense et envoûtant avec Roland Giguère, Le rayonnement des corps noirs interroge l’ordre sensible du monde. Avec ce qui nous altère, avec ce qui nous excède, la poète y affronte les rafales du sombre et du cœur pour revenir le souffle chargé de quelques magnifiques et fragiles transparences car il y a des survivants n’est-ce pas… et qu’il s’agit de tenir ensemble. Ce mouvement, entre dérives et certitudes, entre anéantissement et désir infini, Kim Doré l’a habilement inscrit à même la forme, usant d’un rythme, parfois ample comme la mer parfois feu ou tourment et d’une parole juste et grave qui nous emportent vers une plus vive conscience de soi et du monde. Il est alors question de poésie, d’espérance, de responsabilité face à la désolation de notre temps, d’amour aussi, de l’essentiel et, ce, jusqu’à la véritable présence : cette hypothèse où nous vivrons. Un recueil empreint d’une belle et courageuse profondeur, d’une très poignante lucidité. »
Prix Émile-Nelligan - Finaliste au Prix Estuaire des Terrasses Saint-Sulpice - Prix Abitibi-Consolidated,catégorie «poésie»
Coup de coeur d'Émilie - Poésie 2
Mouron des champs / Marie-Hélène Voyer - La Peuplade, 2022
Il me faudrait tracer l’histoire
de mes vieilles vivantes
toutes leurs vies raboutées
ells et moi raccommodées
dans un livre
d’amertumes rieuses
et de joies sombres
ce serait le livre
d’une mémoire impossible
encagée
et pourtant
Mouron des champs dit l’histoire de vies dures et empêtrées, de destinées de filles de fermiers, de pauvresses du bout du rang, de mères travailleuses infatigables aux désirs corsetés. Revitalisant brillamment le vocabulaire des parlers populaires, Marie-Hélène Voyer fouille les lieux de vie familiaux où se resserrent l’emprise de la domesticité et la violence de la contention. Cette poésie profonde et tassée comme un pain de mie porte la voix des mortes et met en lumière les encagements du passé. Mouron des champs, suivi de l’essai Ce peu qui nous fonde, est l’occasion pour la poète de revenir sur la disparition de sa mère, cette femme de cendre qui s’effondre, sur les ombres qui planent depuis l’enfance et sur l’affranchissement que permet l’écriture. Un souffle d’amour pour apprendre à vivre.
Coup de coeur d'Émilie - Arts 1
Virginie Mercure
Virginie Mercure vit et travaille à Québec. Elle a obtenu un baccalauréat en arts plastiques à l’Université Laval où elle poursuit une maîtrise en arts visuels. Elle a présenté son travail lors d’expositions solos au Centre Vu et à Regart. Elle a participé à la deuxième édition du symposium Pan ! Peinture en 2008. L’artiste a également à son actif une formation en dessin de bâtiment et une technique en métiers d’art céramique.
Elle a aussi illustré : Casse-gueules (2018) et Vanités (2020), deux recueils d’Émilie Turmel publiés aux éditions Poètes de brousse.
Coup de coeur d'Émilie - Arts 2
Guillaume Desrosiers Lépine
Ayant fait ses études entre le Canada, le Brésil et la France, Guillaume Desrosiers Lépine est un jeune artiste émergent en arts visuels. En 2017, il est finaliste pour le prix Sylvie et Simon Blais pour la relève en arts visuels. Il reçoit également plusieurs distinctions pour son livre Lecture des signes abstraits : une exploration visuelle publié en 2014 chez La chose Imprimée. Il est actuellement professeur au département des arts visuels de l’Université de Moncton en Acadie.
Coup de coeur d'Émilie - Musique 1
Alexandra Strélinski
Alexandra Stréliski est une compositrice et pianiste canadienne née en 1985 à Montréal. Elle étudie le piano au Conservatoire de l’Université McGill et à l’Université de Montréal. Elle estime que sa musique est un mélange de pop et de classique mais ses compositions se rattachent essentiellement au courant postminimaliste, à l’instar des compositeurs comme Max Richter ou Ludovico Einaudi. Elle enregistre son premier album, Pianoscope, en 2010 et l’adresse au public via les réseaux sociaux, de même que son clip, Prélude, qui paraît sur Youtube. Le succès est au rendez-vous et sa carrière démarre, avec un premier concert au Festival international de jazz de Montréal en 2013, où elle est réinvitée en 2016 et 2018. Ses compositions sont utilisées comme musique d’accompagnement pour différents projets cinématographiques, notamment par le cinéaste Jean-Marc Vallée sur plusieurs de ses films et séries. En 2018, elle produit son deuxième album, Inscape, suivi, en 2023, de son troisième album, Néo-romance.
https://www.youtube.com/watch?v=2GpuYyTBE_w
Coup de coeur d'Émilie - Musique 2
Jérémy Dutcher
Auteur, compositeur et interpète wolastokiyik, Jérémy Dutcher est une voix dont les mots ont pour but de : dénoncer, faire le deuil, informer, célébrer, réconcilier ou bien guérir. Il est bispirituel et membre de la Première Nation Tobique du Nouveau-Brunswick (Canada) « Ma mère m’a fait comprendre que parfois, lorsque ton travail te mène à mettre au monde des histoires pour le monde, ça devient plus grand que toi et il faut que tu continues à les raconter ; ça devient une responsabilité. » Jérémy Dutcher
Émilie Turmel nous conseille les albums Wolastoqiyik Lintuwakonawa (2018) & Motewolonuwok (2023).
https://www.youtube.com/watch?v=ODevWnHTNCw&list=PL0-h550KBmd5YIBlQ73MpASDkq_m9YkDM
https://www.youtube.com/playlist?list=OLAK5uy_kh2MEXgzfbL0hT9EQ6xBLjFbuRCRCS3Bo